La chronique d'un Bourguignon | N° 01
TERRE ET BRUME DE BOURGOGNE -
En ces temps
d'automne la brume parfois même un épais brouillard tombe sur notre
terre de Bourgogne. La terre se refroidit et le froid monte au
travers des chaussures ou des bottes des vignerons, une froide
morsure qui saisit les orteils puis la plante des pieds pour enfin
monter jusqu'aux jambes des travailleurs de la vigne et de la terre.
Cette brume
légère m'a toujours fasciné, elle offre un épais mystère à
notre terre de Bourgogne. Lorsqu'elle s'installe sur la Côte
viticole, un escarpement de faille entre la plaine de la Saône et
les Hautes-Côtes, une moulure qui du haut de ces 300 mètres par
endroit, sur laquelle par temps clair on peut voir le Mont-Blanc,
s'étend sur 70 km de Dijon à Chagny, la brume enveloppe de son
manteau le Clos de Vougeot, et lorsque fument les brouettes viticoles
utilisées pour brûler les sarments, les baguettes des ceps ciselés
et sculptés par la taille du vigneron, ce sont des touches d'une
fumée blanche qui s'ajoutent au tableau.
La brume
charge l'humeur à s'intéresser au secret de notre histoire
bourguignonne ; je pense à l'ancienne cité de Bélénos (Beaune
aujourd'hui) et au vicus gallo-romain situé aux Bolards (non loin du
péage de l'autoroute à Nuits-Saint-Georges) où certain étaient
adorateurs du culte de Mithra, Dieu qui faillit renverser le
christianisme naissant, Beaune et les Bolards, deux lieux de vie
peuplés peut-être par des habitants descendant du centre Eduens
Bibracte (Mont Beuvray) situé au beau milieu du Morvan (où
Vercingétorix lança son appel pour fédérer les peuples celtes
contre les romains et où Jules César écrivit sa Guerre des
Gaules) puis des Gallo-Romains de la Ville d'Auguste,
Augustudunum (Autun) nouveau centre de vie Eduens ; je pense à la
terre des Burgondes avant qu'elle ne deviennent terre conquise par
les rois Mérovingiens d'abord par Clovis, roi des Francs, ayant
épousé la princesse Burgonde Clotilde, nièce du roi Gondebaud, qui
convertira son mari à la religion chrétienne ; je pense au roi
Gontran ; je pense à la mort de Guerin, premier seigneur de Vergy
frère de Léger d'Autun ; Bourgogne conquise ensuite par les
Carolingiens puis laissé aux seigneurs de la guerre : le roi Boson,
Richard tout premier Duc de Bourgogne et son fidèle second Manassès
de Vergy (l'Ancien), et le fils de ce dernier Gilbert ; je pense à
la Seigneurie de Vergy, ce mystérieux château qui se situait sur la
butte Vergy dont il ne reste qu'une tour et quelques pierres , à
leurs chanoines de Saint-Denis ; je pense aux hommes spirituels de
bourgogne, aux moines qui bâtirent Cîteaux le Novum Monestarium en
réaction à Cluny le Grandiose Monastère de Bourgogne, je pense
Cîteaux et à son Cellier qui allait devenir le Clos de Vougeot ; à
l'autre Abbaye dépendant de Vergy et rattachée à Cluny l'Abbaye de
Saint-Vivant ; à Bernard de Fontaine (qui allait devenir abbé de
Clairvaux) ; et à la résidence secondaire des Pères Abbés de
Cîteaux, lieu qui berça mon enfance, le Château de
Gilly-les-Cîteaux et son Jardin à la Française ; je pense aux
premiers Ducs de Bourgogne, les Ducs Capétiens et aux Grands Ducs de
Bourgogne, les Ducs Valois, Philippe le Hardi, Jean Sans Peur,
Philippe le Bon, Charles le Téméraire, au Chancelier Nicolas Rolin
et Guigone de Salins sa femme qui fondèrent les Hospices de Beaune,
au Conseiller Régnier Pot et son magnifique Château sorti tout
droit d'un conte de fée, La Rochepot et à son petit-fils Philippe
Pot lui aussi Conseiller des Ducs; je pense à la Bourgogne rattaché
à la France par un roi des Châteaux de la Loire ; je pense aux
descendants des Grands-Ducs, Marie et son petit-fils l'empereur
Charles Quint adversaire féroce de François Ier ; je pense au
développement de la ville de Nuits, après que fut rasé Vergy par
notre « bon » Roy Henri IV Nuits, ses deux église
Saint-Symphorien et Saint-Denis, Nuits, et surtout son Beffroi, image
de mon enfance, Nuits la solidaire, Nuits la généreuse... ; je
pense à des personnages haut en couleur le Prince de Conti, Claude
Jobert de Chambertin, Léonce Bocquet ; je pense au vin de l'Empereur
; je pense à la République qui refonde en moi l'ensemble de mes
valeurs et enfin je pense à Jules Vernes, à Félix Tisserand et à
la Science qui souvent dépasse la fiction, à ces astronautes qui
foulèrent la Lune et déposèrent le nom de Nuits-Saint-Georges dans
le cratère lunaire baptisé à cette occasion cratère
Saint-Georges. Tous ces événements, tous ces mystères, toute cette
histoire forgent les habitants de ce coin de terre.
La Terre,
cette Terre de Bourgogne donne aussi le caractère généreux aux
Bourguignons, ceux de la Côte, ceux de la Saône et ceux du Morvan,
parce qu'ils savent donner de leurs temps, mais savent aussi montrer
leur dur caractère, ils sont dur comme le calcaire de la roche de
Comblanchien qui compose notre Côte, ils ne se laisseront jamais
marcher sur les pieds nos indépendants citoyens de Bourgogne. Voici
aussi à l'ouest des rudes paysages qui peuplent la Côte, les
Combes, ces perforations rocheuses dans la Côte plissant les
Rochers, ici, les villages et villes sont nés le plus souvent d'une
rencontre avec la Côte et d'une combe ; combe Lavaux à
Gevrey-Chambertin, combe de la Serrée à Nuits-Saint-Georges. Combe
qui ajoute du mystère dans nos paysages. Plus loin à l'est, les
forêts et la grande forêt de Cîteaux laissent aussi leurs
empreintes sacrées dans nos esprits. Au milieu cette terre, la terre
de la côte, la terre de la vigne, cette terre et ces vignes
travaillées et retravaillées quand j'étais gamin avec ce père qui
m'amenait dans ses vignes, avec lequel j'ai appris à travailler la
vigne et le vin. Je garde un lien étroit avec cette terre, et c'est
peut-être de travailler les vignes qui ont fait de moi un homme
résolument les pieds sur terre préférant écouter la sagesse du
corps plutôt que chercher dans un hypothétique Ciel des idées.
Préférant regarder sur Terre plutôt qu'au Ciel, à part lorsque je
m'amuse à réciter les constellations.
Brume et
Terre, la Vapeur et l'Humus, alliage de Bourgogne comme le corps et
l'esprit forgent nos identités.
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