samedi 27 décembre 2014

Chronique d'un Bourguignon | N° 02 - Esprit(s) de la Plaine Abbaye de Cîteaux


                                                    

La chronique mensuelle d'un Bourguignon | N° 02 


Alors que ce prépare la Saint Vincent Tournante 2015 dans les villages de mon enfance Gilly-lès-Cîteaux et Vougeot  mais aussi l'abbaye voici en attendant la création de l'abbaye de Cîteaux et quelques informations historiques sur ces lieux tant aimés. J'en profite pour vous souhaitez une excellente année 2015 avant de se retrouver à la Saint Vincent Tournante !


ESPRIT(S) DE LA PLAINE DU PAYS DE CÎTEAUX -


Fin de l'an Mille. Alors que rayonne la puissante abbaye de Cluny (fondée en 909 près de Mâcon), qui depuis 1049 est sous l'abbatiat d'Hugues de Semur, en réaction à sa grandeur et à la majesté de la grande abbaye, trois hommes, l'Abbé Robert de Molesme, le Prieur Albéric, et le Moine anglais Etienne Harding quittent une deuxième fois l'abbaye de Molesme, près de Tonnerre dans l'Yonne, (abbaye fondée par Robert lui-même en 1075). L'abbaye de Molesme s'est éloignée, d'après l'exemple de Cluny, d'un idéal Bénédictin partagé par les trois hommes, il y a des dissensions entre les moines qui se sont enrichis aussi l'autorité de Robert est mis à mal. Robert veut revenir à un idéal de vie sobre, sans possession, où se mèlent travail manuel et prières. Avec l'autorisation de l'archevêque de Lyon, les trois hommes, suivi de 21 moines, quittent le monastère de Molesme et le 21 Mars 1098, Robert, Albéric, Etienne et leur 21 moines créent le Nouveau Monastère sur l'alleu que leur cède le Vicomte de Beaune Raynald, avec l'autorisation du Duc de Bourgogne Eudes Ier qui dote le lieu de la vigne de Meursault. Ce lieu (qui est aujourd'hui situé sur la commune de Saint-Nicolas-lès-Cîteaux) est boisé et marécageux, il se nomme Cistel, ce qui signifie « joncs » en ancien français, où « personne n'habite, sauf les bêtes sauvages », Il deviendra « l'Abbaye Cîteaux » vingt et un an plus tard. La vie sera rude au Nouveau Monastère, très difficile, en cela proche de l'idéal Bénédictin de Robert de Molesme. En 1099, Albéric devient Abbé, il profite d'une situation qui lui permet de chasser du Novum Monasterum Robert le premier Abbé. En effet à Molesme, les moines sollicitent le retour de Robert. Albéric succède donc à Robert de Molesme qui est prié de retourner à Molesme par le Pape Urbain II lui-même (pape qui précha en 1095 la 1ere Croisade). L'Abbé Albéric reconstruit le Novum Monasterium quelques centaines de mètres plus loin. En novembre 1106 l'église abbatiale est consacrée par l'évêque de Châlon. En 1109, à la mort d'Albéric, Etienne Harding, moine anglais fidèle à Robert et à Albéric, devient le troisième abbé du monastère.
En 1110 les moines d'Etienne Harding cherchent un endroit proche de l'abbaye pour cultiver des vignes, nécessaire pour le rituel chrétien, le terrain marécageux du Nouveau Monastère est en rien cultivable pour la vigne. C'est donc en remontant la rivière (laVouge) que les moines trouvent un endroit favorable sur la Côte, cultivée déjà à quelques kilomètres par les chanoine du prieuré de Saint Denis de Vergy et aussi par d'autres moines dont ceux de Saint-Vivant de Vergy (abbaye dépendant de Cluny) vont cultiver en 1131 des terres à Flagey et à Vosne, nous aurons l'occasion d'en reparler dans une prochaine chronique. Tout près, les moines du Nouveau Monastère arrivent trop tard pour de bons terrains, la place est prise ! à Musigny par les Evêques de Langres venus de Dijon. Il faut comprendre que durant toute l'Histoire, la Côte Viticole a suscité les convoitises tant du Nord que du Sud. Du côté Beaune, c'est l'influence d'Autun et de Cluny qui domine, le Sud l'emporte. Du Côté de Dijon, c'est le Nord qui s'impose, et Langres. Les évêques de Langres sont en effet évêques de Dijon et cela jusqu'au XVIIIe. La frontière entre Nord et Sud passe justement à l'endroit où les moines de d'Etienne Harding s'arrêtent. Ils vont trouver une terre un peu plus bas que Musigny en amont de la Vouge. La communauté est très pauvre mais grâce à des âmes généreuses l'abbaye acquiert auprès de 4 donateurs obscurs, pour pratiquement rien, 3 hectares de terres en friche, puis elle étend son domaine grâce aux Seigneurs de Vergy et à la Châtelaine Elisabeth de Vergy. Les moines construiront une de leur grange au coeur de ce terroir dont la surface ne tarde pas à se développer en 1116 et cent années après en 1212 le clos qui deviendra le Clos de Vougeot est construit. Dès le XIIIe les limites intangibles du Clos de Vougeot sera atteint, 50 hectares et 85 ares. Le Cellier construit au XIIIe et la Cuverie XIIIe-XIVe. Les moines y font un excellent vin, qui devient fort réputé et apprécié, ils deviennent de véritables techniciens, sont bientôt possesseur des principaux vignobles de Dijon à Meursault. Ils embauchent aussi des laïcs à leur service pour s'occuper des vignes. Outre le Clos de Vougeot, il convient aussi de citer le vignoble de Chablis appartenant à une fille de Cîteaux Pontigny, Cîteaux possède aussi des Celliers à Meursault et à Aloxe. L'abbaye concurrente Cluny possède quant à elle un Cellier à Gevrey-Chambertin. Aussi dans toute l'Europe, le vin de Bourgogne, grâce à l'expansion des deux ordres et l'exemption de taxe, va se diffuser. Les Papes d'Avignon vont même apprécier le vin de Beaune.
Les moines se rendent de Cîteaux au Clos de Vougeot par un chemin d'une quinzaine de kilomètres qui passe par Gilly-lès-Cîteaux, bien qu'au départ il y ait de bonnes relations, l'histoire relate des tensions entre l'Abbaye de Cîteaux et le Prieuré de Gilly qui dépend de l'Abbaye de Saint-Germain des Près de Paris. Pour résoudre ce conflit en 1300 les moines de Cîteaux acquereront le Château de Gilly et le transformera en résidence de plaisance des Abbés de Cîteaux.
En 1112 Bernard fils du Seigneur de Fontaine (Dijon) Tescelin et Aleth de Montbard, repeuple l'abbaye de Cîteaux veillissante, avec 30 de ses compagnons dont quatre de ses frères et deux de ses oncles maternels. Saint Bernard va aider Etienne Harding à développer Cîteaux. Cîteaux repeuplé essaime. 1113 est fondé la Ferté première fille de Cîteaux, en 1114 c'est Pontigny, 1115 Bernard devient abbé de la troisième fille de Cîteaux Clairvaux dans la canton de Bar-sur-Aube, Clairvaux essaimera à son tour, enfin quatrième fille Morimond. Entre 1120 et 1125 à Tart quelques kilomètres de Cîteaux, l'Abbé de Cîteaux Etienne fonde un premier établissement de Moniales. Pour un souci d'organisation et d'administration donne à l'Ordre ses points de référence dont la Chartre primitive en 1114 complétée par l'histoire du Nouveau Monastère, l'Exorde primitif en 1119. Cette même année le Novum Monasterum prend le nom de « Cîteaux ». En 1133, un an avant sa mort Etienne Harding se retire l'Ordre compte 70 abbayes en France, dans les régions de Bourgogne, Franche-Comté, Champagne et même hors des frontières du royaume, en Angleterre, en Allemagne, en Italie. Quant à Saint Bernard il ne sera jamais Abbé de Cîteaux mais de l'une de ses filles Clairvaux qui essaimera à son tour (Trois-Fontaines, Fontenay, Foigny). Toutefois Bernard sera en 1124 un éminent représentant de l'Ordre, il s'opposera à Cluny sur une affaire touchant son neveu ayant quitté Claivaux pour Cluny. Il sera aussi une des personnalités de la chrétienté occidentale, il est présent en 1128 au synode de Troyes réuni pour définir la structure de l'Ordre du Temple et le 31 mars 1146, il préchera la deuxième croisade à Vézelay.



ici le porteur de Benaton (Clos de Vougeot) et haut l'Abbaye de Cîteaux et ses Jardins


 

dimanche 30 novembre 2014

Chronique d'un Bourguignon | N° 01 Terre et Brume de Bourgogne

La chronique d'un Bourguignon | N° 01 

 TERRE ET BRUME DE BOURGOGNE -


En ces temps d'automne la brume parfois même un épais brouillard tombe sur notre terre de Bourgogne. La terre se refroidit et le froid monte au travers des chaussures ou des bottes des vignerons, une froide morsure qui saisit les orteils puis la plante des pieds pour enfin monter jusqu'aux jambes des travailleurs de la vigne et de la terre.
Cette brume légère m'a toujours fasciné, elle offre un épais mystère à notre terre de Bourgogne. Lorsqu'elle s'installe sur la Côte viticole, un escarpement de faille entre la plaine de la Saône et les Hautes-Côtes, une moulure qui du haut de ces 300 mètres par endroit, sur laquelle par temps clair on peut voir le Mont-Blanc, s'étend sur 70 km de Dijon à Chagny, la brume enveloppe de son manteau le Clos de Vougeot, et lorsque fument les brouettes viticoles utilisées pour brûler les sarments, les baguettes des ceps ciselés et sculptés par la taille du vigneron, ce sont des touches d'une fumée blanche qui s'ajoutent au tableau.
La brume charge l'humeur à s'intéresser au secret de notre histoire bourguignonne ; je pense à l'ancienne cité de Bélénos (Beaune aujourd'hui) et au vicus gallo-romain situé aux Bolards (non loin du péage de l'autoroute à Nuits-Saint-Georges) où certain étaient adorateurs du culte de Mithra, Dieu qui faillit renverser le christianisme naissant, Beaune et les Bolards, deux lieux de vie peuplés peut-être par des habitants descendant du centre Eduens Bibracte (Mont Beuvray) situé au beau milieu du Morvan (où Vercingétorix lança son appel pour fédérer les peuples celtes contre les romains et où Jules César écrivit sa Guerre des Gaules) puis des Gallo-Romains de la Ville d'Auguste, Augustudunum (Autun) nouveau centre de vie Eduens ; je pense à la terre des Burgondes avant qu'elle ne deviennent terre conquise par les rois Mérovingiens d'abord par Clovis, roi des Francs, ayant épousé la princesse Burgonde Clotilde, nièce du roi Gondebaud, qui convertira son mari à la religion chrétienne ; je pense au roi Gontran ; je pense à la mort de Guerin, premier seigneur de Vergy frère de Léger d'Autun ; Bourgogne conquise ensuite par les Carolingiens puis laissé aux seigneurs de la guerre : le roi Boson, Richard tout premier Duc de Bourgogne et son fidèle second Manassès de Vergy (l'Ancien), et le fils de ce dernier Gilbert ; je pense à la Seigneurie de Vergy, ce mystérieux château qui se situait sur la butte Vergy dont il ne reste qu'une tour et quelques pierres , à leurs chanoines de Saint-Denis ; je pense aux hommes spirituels de bourgogne, aux moines qui bâtirent Cîteaux le Novum Monestarium en réaction à Cluny le Grandiose Monastère de Bourgogne, je pense Cîteaux et à son Cellier qui allait devenir le Clos de Vougeot ; à l'autre Abbaye dépendant de Vergy et rattachée à Cluny l'Abbaye de Saint-Vivant ; à Bernard de Fontaine (qui allait devenir abbé de Clairvaux) ; et à la résidence secondaire des Pères Abbés de Cîteaux, lieu qui berça mon enfance, le Château de Gilly-les-Cîteaux et son Jardin à la Française ; je pense aux premiers Ducs de Bourgogne, les Ducs Capétiens et aux Grands Ducs de Bourgogne, les Ducs Valois, Philippe le Hardi, Jean Sans Peur, Philippe le Bon, Charles le Téméraire, au Chancelier Nicolas Rolin et Guigone de Salins sa femme qui fondèrent les Hospices de Beaune, au Conseiller Régnier Pot et son magnifique Château sorti tout droit d'un conte de fée, La Rochepot et à son petit-fils Philippe Pot lui aussi Conseiller des Ducs; je pense à la Bourgogne rattaché à la France par un roi des Châteaux de la Loire ; je pense aux descendants des Grands-Ducs, Marie et son petit-fils l'empereur Charles Quint adversaire féroce de François Ier ; je pense au développement de la ville de Nuits, après que fut rasé Vergy par notre « bon » Roy Henri IV Nuits, ses deux église Saint-Symphorien et Saint-Denis, Nuits, et surtout son Beffroi, image de mon enfance, Nuits la solidaire, Nuits la généreuse... ; je pense à des personnages haut en couleur le Prince de Conti, Claude Jobert de Chambertin, Léonce Bocquet ; je pense au vin de l'Empereur ; je pense à la République qui refonde en moi l'ensemble de mes valeurs et enfin je pense à Jules Vernes, à Félix Tisserand et à la Science qui souvent dépasse la fiction, à ces astronautes qui foulèrent la Lune et déposèrent le nom de Nuits-Saint-Georges dans le cratère lunaire baptisé à cette occasion cratère Saint-Georges. Tous ces événements, tous ces mystères, toute cette histoire forgent les habitants de ce coin de terre.
La Terre, cette Terre de Bourgogne donne aussi le caractère généreux aux Bourguignons, ceux de la Côte, ceux de la Saône et ceux du Morvan, parce qu'ils savent donner de leurs temps, mais savent aussi montrer leur dur caractère, ils sont dur comme le calcaire de la roche de Comblanchien qui compose notre Côte, ils ne se laisseront jamais marcher sur les pieds nos indépendants citoyens de Bourgogne. Voici aussi à l'ouest des rudes paysages qui peuplent la Côte, les Combes, ces perforations rocheuses dans la Côte plissant les Rochers, ici, les villages et villes sont nés le plus souvent d'une rencontre avec la Côte et d'une combe ; combe Lavaux à Gevrey-Chambertin, combe de la Serrée à Nuits-Saint-Georges. Combe qui ajoute du mystère dans nos paysages. Plus loin à l'est, les forêts et la grande forêt de Cîteaux laissent aussi leurs empreintes sacrées dans nos esprits. Au milieu cette terre, la terre de la côte, la terre de la vigne, cette terre et ces vignes travaillées et retravaillées quand j'étais gamin avec ce père qui m'amenait dans ses vignes, avec lequel j'ai appris à travailler la vigne et le vin. Je garde un lien étroit avec cette terre, et c'est peut-être de travailler les vignes qui ont fait de moi un homme résolument les pieds sur terre préférant écouter la sagesse du corps plutôt que chercher dans un hypothétique Ciel des idées. Préférant regarder sur Terre plutôt qu'au Ciel, à part lorsque je m'amuse à réciter les constellations.
Brume et Terre, la Vapeur et l'Humus, alliage de Bourgogne comme le corps et l'esprit forgent nos identités.